«
“Par exemple ! C’est fort étrange !” dit le pasteur, et il regarda de près le fourreau et la lame. C’était un homme lettré, tandis que le fermier ne pouvait que déchiffrer les grandes onciales avec difficulté, et n’était même pas sûr de la lecture de son propre nom. C’est pourquoi il n’avait jamais payé attention aux lettres étranges qu’on pouvait deviner sur la gaine et l’épée. Quant à l’armurier du Roi, il était tellement habitué aux runes, noms et autres signes de pouvoir et de signification sur les épées et les fourreaux qu’il ne se prenait pas la tête avec cela ; il les trouvait démodés, de toute façon. »
1)
es lettres de Junius désignent trois variantes d’un ancien alphabet utilisé par plusieurs peuples germaniques. Elles furent compilées par Tolkien à partir du Gothicum Glossarium de Francis Junius, publié à Dordrecht en 1665. L’élaboration de ces trois alphabets remonte sans doute à la période 1918–1920, quand Tolkien travaillait sur l’Oxford English Dictionary. Ces alphabets sont rassemblés sur une même page, dont un fac-similé a été publié dans le PE 15, p. 106. Il ne semble pas que Tolkien les aient employés ailleurs, bien qu’ils aient pu nourrir son inspiration. La première série correspond à une variante danoise du fuþark remontant au XIIIe siècle, sous le règne de Valdemar II de Danemark. Intitulée Waldemars Runen « runes de Valdemar », cette liste est accompagnée du nom danois de 22 des 24 lettres listées2). Quelques noms du texte de Junius furent modifiés par Tolkien, lequel changea aussi la place de la rune pour th et rajouta une variante courte de la rune pour s.
Les deux autres alphabets se rapprochent considérablement des caractères latins. La série médiane est une compilation de l’alphabet employé dans les manuscrits méso-gotiques du VIe siècle, listé selon l’ordre latin3). Ces lettres étaient tirées de la variante onciale de l’alphabet grec, avec des adjonctions latines et germaniques4). Plusieurs lettres comprennent là encore des variantes. Un des 31 signes listés ne correspond pas à une lettre gotique et n’a pas été identifié avec certitude. Contrairement aux précédentes, la dernière série, qui correspond à l’alphabet anglo-saxon de Junius, est présente en deux variétés, majuscules et minuscules5). Les lettres þ et ð sont situées entre le t et le u, contrairement au texte de Junius. Tolkien ajouta aussi une lettre pour q, quoique cela aille là encore à l’encontre des indications de sa source médiévale6).